In memoriam: Pascale Casanova

Casanova

It is with profound sadness that we have learned of Pascale Casanova's passing at age 59 on September 29 in Paris. A highly innovative literary critic and a wonderful person, she had been a visiting professor in Romance Studies at Duke a few years ago.

For more information, see Xavier de La Porte's remembrance: https://www.versobooks.com/blogs/4061-pascale-casanova-world-citizen-of-...

and her obituary in Le Monde by Gisèle Sapiro: 

LE MONDE | 03.10.2018

La mort de la chercheuse et critique littéraire Pascale Casanova

La chercheuse, qui avait contribué au renouvellement des études littéraires, est morte le 29 septembre à Paris.

Par Gisèle Sapiro (Directrice d'études à l'EHESS et Directrice de recherche au CNRS)

Pascale Casanova, morte le 29 septembre à Paris, laisse une œuvre marquante, traversée par la question de l’autonomie de la littérature, mais aussi des inégalités entre langues et cultures. Elle était née le 14 février 1959 à Tours.

C’est d’abord comme critique littéraire exigeante que Pascale Casanova s’est faite connaître à la fin des années 1980. Loin des concessions à l’air du temps, elle a introduit un grand nombre d’écrivains novateurs, français et étrangers, sur France Culture, dans l’émission « Panorama » puis dans ses « Jeudis littéraires » devenus « Mardis », et son « Atelier littéraire ». Comme dans La Quinzaine littéraire et la revue Liber.

Après un premier ouvrage sur Beckett (Beckett, l’abstracteur, Seuil, 1997) qui compare son refus de la figuration à l’abstraction en art, elle publie son livre majeur, La République mondiale des lettres (Seuil, 1999 ; rééd. « Points essais », 2008), tiré de la thèse de doctorat qu’elle a soutenue sous la direction de Pierre Bourdieu en 1997. Traduit en anglais chez Harvard University Press (2005), ce livre a rencontré un vaste écho international.

A contre-courant des pronostics déclinistes sur la place de la culture française dans le monde comme des tendances statistiques révélant la faible part d’essais d’auteurs féminins parmi les flux de traductions, cette réception internationale est un phénomène singulier. Devenu rapidement un classique, son livre a contribué au renouvellement des études littéraires en général et de la littérature comparée en particulier, parallèlement aux travaux de Franco Moretti et de David Damrosch. Son retentissement est allé bien au-delà, en sociologie, en histoire, et dans les milieux intellectuels. « Casanova’s World Republic of Letters is a unique book ! », écrit le Prix Nobel de littérature Orhan Pamuk à l’annonce de son décès.

Une analyse démystificatrice

Dans ce livre, Pascale Casanova décrit l’émergence d’un champ littéraire international, dont le prix Nobel est l’instance de consécration la plus prestigieuse. Les rapports de force entre les langues et littératures qui le composent sont toutefois inégaux. Les plus anciennes et les plus établies – française, allemande, anglaise, russe – ont accumulé un capital littéraire, mesurable au nombre d’œuvres entrées dans le canon mondial. De ce fait, le nationalisme a pu constituer un recours pour les littératures dominées (voir l’ouvrage qu’elle a dirigé : Des littératures combatives, Raisons d’agir, 2011). Cette analyse démystificatrice a suscité d’intenses et féconds débats, mais lui a aussi valu des reproches injustifiés d’eurocentrisme.

Toute l’œuvre de Pascale Casanova est traversée par la réflexion sur la domination linguistique. Dans ses admirables monographies sur Beckett et Kafka (Kafka en colère, Seuil, 2011), elle établit un lien entre leur appartenance à ce que Gilles Deleuze et Félix Guattari ont appelé des « littératures mineures » et les révolutions symboliques qu’ils ont accomplies. Elle lit ainsi l’œuvre de Kafka comme une critique euphémisée de la violence symbolique qui sous-tend le désir assimilationniste de la communauté juive. Son dernier livre, La Langue mondiale (Seuil, 2015), analyse le rôle de la traduction comme une arme contre la domination linguistique, des traductions du latin en français aux XVIe et XVIIe siècle à nos jours, marqués par l’hégémonie de l’anglais.

Chercheuse indépendante, n’ayant pas trouvé de position universitaire en France, nonobstant cette reconnaissance internationale, Pascale Casanova a poursuivi son œuvre de façon désintéressée, dans l’isolement imposé par la maladie, l’ascèse et la souffrance. Chargée de conférences à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) en 2003-2004, elle a surtout enseigné à l’étranger, dans les universités de Genève, de Los Angeles (UCLA), et à l’université Duke de Durham (Caroline du Nord). Elle était chercheure associée au Centre européen de sociologie et de science politique, et membre du comité éditorial des éditions Raisons d’agir.

Pascale Casanova était aussi une intellectuelle engagée dans la défense de l’autonomie de la pensée et de la culture, contre les effets néfastes des concentrations sur la presse et l’édition, mais aussi contre les conséquences des politiques néolibérales sur les instances de diffusion publiques telles que Radio France, dont elle avait fait l’amère expérience. Elle aura incarné la fonction intellectuelle critique dans toute sa noblesse.